Ceux qui connaissent Antonio Calce le savent, l’homme a du bagout, de l’enthousiasme et le verbe haut.

Celui qui a repris les rênes de Greubel Forsey en 2020 est capable de vous en parler durant des heures: «Vous savez que je suis passé par de nombreuses marques. Depuis le temps, je connais bien le monde de l’horlogerie. Avant d’arriver ici, je connaissais la réputation de Greubel Forsey, mais j’étais loin de me douter que c’était aussi exceptionnel», disserte-t-il.

«Tout est tellement différent, la philosophie, la manière de travailler, les profils de compétences, la recherche permanente de la perfection… En fait, ici, nous sommes tous des obsédés, des obsédés de l’excellence! Greubel Forsey, c’est une sorte de secte», lâche-t-il en souriant. «Mais écrivez bien que c’est une secte au sens positif du terme», s’empresse-t-il de préciser.

L’excellence, la perfection… Tous les horlogers ou presque vous diront qu’ils tendent vers ces objectifs. Chez Greubel Forsey, cela se traduit par une manière de travailler propre à une marque de niche. Laquelle, pour donner un ordre de grandeur, devrait fabriquer quelque 230 montres en 2023, pour un prix moyen se situant aux alentours du demi-million de francs. Quant au tarif d’entrée dans les collections, il s’établit à 180 000 francs. On navigue donc dans les hautes sphères du luxe, où les notions de prix, de valeur, de marges et de rentabilité échappent à toute comparaison.

null Le bâtiment du Crêt-du-Locle entame sa mue. Il va plus que doubler de volume. Photo: Muriel Antille

Summum de l’art horloger

Au sein de la ferme transformée du Crêt-du-Locle, on cultive un état d’esprit particulier qui consiste, depuis la fondation de la marque par l’Alsacien Robert Greubel et l’Anglais Stephen Forsey, en 2004, à revisiter inlassablement tous les fondamentaux de la mécanique horlogère. Et cela au fil d’«inventions fondamentales», dont la huitième vient d’ailleurs d’être présentée: le Tourbillon Cardan.

En deux mots: au cœur du mouvement, le balancier (l’organe qui régularise la marche de la montre) incliné à 30°, est logé à l’intérieur d’une cage à rotation rapide qui effectue une révolution en 16 secondes. Elle-même s’inscrit dans un cardan constitué de deux arceaux mobiles, qui basculent en va-et-vient. L’idée est de multiplier les positions afin de compenser les effets de la gravité terrestre, quelle que soit la position de la montre. Tout cela pour quoi? Pour garantir à l’objet une moyenne de marche et une précision aussi parfaites que possible.

Même les non-spécialistes peuvent le comprendre: il est question ici d’art horloger poussé dans ses derniers retranchements. Avec le côté «obsessionnel» évoqué plus haut par Antonio Calce. Excessif? Oui. Inutile? Dans la vie de tous les jours, évidemment. Mais c’est une sorte de quête du Graal que les collectionneurs et les connaisseurs apprécient. Elle prend tout son sens dans les Montagnes neuchâteloises, dans un secteur qui s’est toujours distingué par sa forte valeur ajoutée.

Les conditions de la réussite

Tout est à l’avenant dans les différents départements de la maison. Tel horloger nous explique qu’une fois l’assemblage d’une montre terminé, il peut passer jusqu’à six heures à débusquer l’ultime petite poussière nichée au cœur du mouvement. Dans l’atelier «hand made», horlogers et mécaniciens travaillent avec des machines de précision anciennes qui se règlent à la main: tour, pointeuse, fraiseuse, pantographe. Un geste maladroit et toute la pièce est à refaire, parfois après des heures, voire des jours de travail. «C’est un sacré défi. De temps à autre, on se prend de sérieuses montées d’adrénaline. Mais c’est stimulant et, au final, particulièrement satisfaisant. Je n’ai jamais travaillé de cette manière dans d’autres marques», explique un mécanicien croisé dans l’atelier.

null Chez Greubel Forsey, les standards de qualité et de contrôle sont hors normes. Photo: Muriel Antille

«Un de nos employés vous a dit cela? Vous n’imaginez pas à quel point cela me fait plaisir», renchérit Antonio Calce. «Ici, nous plaçons le respect de l’être humain au centre de nos préoccupations. Pour mettre les gens dans des conditions de réussite, il faut rendre leur travail intéressant. Cela consiste également à les payer correctement. Que cela soit par métier ou par classe salariale, nous avons placé tous les employés au maximum des barèmes fixés par la convention collective de travail.»

Le cerveau et la main

En 2024, Greubel Forsey célébrera son vingtième anniversaire. L’esprit qui règne depuis toujours dans la maison peut-il se perpétuer alors que les deux fondateurs ne sont plus aujourd’hui dans l’opérationnel (mais toujours au conseil d’administration)? C’est la tâche qui incombe à Antonio Calce. Lequel entend poursuivre l’œuvre des créateurs.

«J’ai été engagé pour cela, pour permettre à la maison d’évoluer, de passer d’un atelier créatif à une véritable marque signature, avec un modèle économique pérenne. Mais je vous le promets, nous ne lâcherons rien sur l’esprit des lieux. Nous allons continuer de travailler sur les fondamentaux et aller encore plus loin. Par exemple, sans trahir de secret, je peux vous dire que travaillons sur les nanotechnologies», s’enflamme le patron.

null Comme son nom l’indique: dans l’atelier «hand made», horlogers et mécaniciens opèrent tous les réglages… à la main. Photo: Muriel Antille

On le sait, puisque Antonio Calce s’est déjà exprimé sur la question dans les colonnes d’«ArcInfo»: l’entreprise, désormais entièrement indépendante, est en train de sérieusement se développer. D’ici à la fin de l’année prochaine, ses locaux vont plus que doubler de volume, passant de 2200 à 4800 m2. Le tout pour quelque 18 millions de francs. De même, elle prévoit d’investir dans les machines et le capital humain, dans les «cerveaux et les mains», comme aime à le dire Antonio Calce. Avec un accent mis dans la recherche et le développement, aussi bien en matière technique que dans le design et la décoration. «A terme, on fabriquera tout ici, du boîtier à la plus petite des aiguilles», avance fièrement le patron.

Soit. Mais tout de même, Antonio Calce n’aurait-il pas les yeux plus gros que le ventre? «Pas du tout», répond-il du tac au tac. «Personne ne va aussi loin que nous dans l’horlogerie. Avec une telle ambition qualitative, nous ne pourrons jamais fabriquer mille pièces par année. Ce n’est pas le but. Je suis transparent et je peux vous dire que notre plan prévoit la création de 400 à 450 unités par an dès 2026, 2027. Nous vivrons avec cela. Pour aller plus loin, il faudrait transformer l’entreprise de fond en comble. Là, on prendrait le risque de diluer son esprit», conclut-il.

Greubel Forsey change de directeur général

Michel Nydegger prendra la direction de l’horloger basé à La Chaux-de-Fonds début août. L’actuel directeur, Antonio Calce, reste actionnaire de l’entreprise et en deviendra vice-président.